La simplicité dans les théories syntaxiques et leurs applications pédagogiques dans les années 1930–1970

Translated title of the contribution: Simplicity in syntactic theories and their paedagogical applications, 1930s-1970s

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L’idée d’une grammaire représente la recherche d’une simplicité essentielle qui sous-tend la complexité langagière. Il n’est pas surprenant alors que les grands pas en avant dans l’histoire de la théorie linguistique ont consisté en des concepts simplificateurs, de la triade conceptuelle des Modistae à la typologie tripartite d’Humboldt, puis aux dichotomies structuralistes et à la réduction générativiste des langues du monde à une seule langue humaine. La simplicité n’est pas simple, pourtant. Elle prend diverses formes à diverses époques, et entre les chercheurs d’une même époque. J’analyse le rôle joué par la dichotomie simple-complexe dans les théories de Lucien Tesnière (1893-1954), Michael Halliday (1925-2018) et Noam Chomsky, leurs interprétations psychologiques, et les efforts pour les appliquer dans la pédagogie. Dans son article « Comment construire une syntaxe » (1934), Tesnière expose la méthode d’analyse qui amènera aux Éléments de syntaxe structurale (1959). La simplicité, conçue d’une façon tout à fait particulière, est à la base des « stemmas » qu’emploie Tesnière pour schématiser la syntaxe d’une phrase. En plus de ses travaux publiés, je tiens compte de certains documents manuscrits, y compris des lettres échangées entre Tesnière et Cayla, un instituteur d’un petit village de l’Hérault qui a introduit les stemmas dans ses leçons. Cayla a été « agréablement surpris des résultats obtenus grâce aux stemmas. Les élèves reprennent le contrôle de leur petite intelligence et, au lieu d’aligner des mots sans suite – et d’ailleurs incompréhensibles pour eux souvent – ils ‘dessinent’ leurs phrases avec entrain. Quelle chance pour eux qui n’aiment pas écrire de pouvoir utiliser en français comme à l’atelier le principal mode d’expression de l’ouvrier : le schema. » Une longue tradition associe la simplicité avec les couches sociales inférieures, dont on entend des échos chez Meillet, le maître de Tesnière. Mais c’est dans le monde anglophone que cette association atteint son apogée dans cette période, dans la psychologie développé par Basil Bernstein (1924-1991) en conjonction avec la grammaire systémique-fonctionnelle d’Halliday. Quand Bernstein oppose le « code élaborée » des enfants de la classe moyenne au « code restreint » des enfants des ouvriers, le mot « restreint » indique une simplicité interprétée par les enseignants comme l’indice d’un bas niveau d’intelligence. Bernstein voulait lutter contre ces préjugés ; mais, selon ses critiques, sa façon de traiter la question l’a amené à les renforcer et à les propager. La linguistique hallidayenne a donné naissance à la Critical Discourse Analysis (CDA), qui vise surtout les journaux « populaires », les accusant de manipuler leur public par leur utilisation de certains mots déclencheurs auxquels un simple ouvrier n’aurait pas le pouvoir de résister. La syntaxe chomskyenne montre un esprit encore plus simplificatrice. Chomsky a épousé cet esprit, qui a pris plusieurs formes à diverses époques de son histoire, avec une foi optimiste dans la créativité linguistique de chaque enfant, quelque soit sa classe sociale ou son niveau d’intelligence. Mais cette foi est difficile à réconcilier avec sa théorie de la « fabrication du consentement », qui rejoint la politique de la CDA ; mon explication est que la « créativité » chomskyenne ne s’applique qu’à la production du langage, pas à son interprétation. C’est parce que le modèle générativiste traite comme une opération simple ce qui est en fait l’opération la plus complexe qui existe que ses applications pédagogiques, entreprises avec tant d’espoir, ont vite échoué. Dans les trois cas, de bonnes intentions ont été subverties par un concept inadéquat de la simplicité syntaxique. Comment adapter la dichotomie simple-complexe pour atteindre l’égalitarisme éducatif désiré par Tesnière, Halliday et Chomsky ? Faut-il la réimaginer ? Ou l’abandonner entièrement ? Ou ce but louable est-il destiné à rester utopique ? Arrivé, Michel (1969). « Les Éléments de syntaxe structurale, de L. Tesnière », Langue française n° 1, La syntaxe, dir. René Lagane et Jacqueline Pinchon, 36-40. Bernstein, Basil (1959). « A Public Language : Some Sociological Implications of a Linguistic Form », British Journal of Sociology 10, 311-26. Chomsky, Noam (1959). Syntactic Structures, The Hague, Mouton. Halliday, M. A. K. (1961) « Categories of the Theory of Grammar », Word 17(2), 241-292. Joseph, John E. (2011/12). « Théories et politiques de Noam Chomsky », Langages n° 182, 55-67. Swiggers, Pierre (1994). « Aux Débuts de la syntaxe structural : Tesnière et la construction d’une syntaxe », Linguistica 34(1), 209-219.  Tesnière, Lucien (1934). « Comment construire une syntaxe », Bulletin de la Faculte des Lettres de Strasbourg 12e année, n° 7, 219-229. Tesnière, Lucien (1959). Éléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck.
Translated title of the contributionSimplicity in syntactic theories and their paedagogical applications, 1930s-1970s
Original languageFrench
Title of host publicationSimplicité et complexité des langues dans l’histoire des théories linguistiques
EditorsChloé Laplantine, John E. Joseph, Émilie Aussant
Place of PublicationParis
PublisherSHESL
Chapter15
Pages399-424
Number of pages26
ISBN (Electronic)9791091587211
DOIs
Publication statusPublished - 18 Jul 2023

Publication series

NameHEL Livres
PublisherSociété d'Histoire et d'Epistémologie des Sciences du Langage
Volume3
ISSN (Electronic)2968-5222

Keywords / Materials (for Non-textual outputs)

  • complexité linguistique
  • simplicité linguistique
  • Lucien Tesnière
  • Michael Halliday
  • Noam Chomsky
  • Basil Bernstein

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